Préjudice d’anxiété et principe de précaution

Préjudice d’anxiété et principe de précaution

Anxiété ou précaution l’œuf ou la poule ?

extrait les Echos 05/11/2019

Une récente jurisprudence a remis en cause le préjudice d’anxiété exclusif à l’amiante. Il est reconnu que l’anxiété est préjudiciable à la santé physique de l’Homme par son omniprésence. Le mental influe sur le physique, c’est une certitude.

Le CIRC (Centre International de Recherche contre le Cancer) publie régulièrement des études (monographies) et propose des classements de cancérogénicité pour des produits, des activités, …

Son job est d’identifier les marqueurs et les situations qui impactent la santé des travailleurs. Ainsi, il y a plus de 10 ans, le travail de nuit était classé probable cancérogène pour la santé. Aujourd’hui, des études complémentaires ont confirmé la réalité de la relation cause-effets.

Il existe une augmentation de la survenue de certains cancers, cf. les articles suivants :

La jurisprudence évoque le manquement de l’employeur à une obligation de sécurité.

Me faisant l’avocat du diable… toutes les entreprises ayant des organisations en équipes alternantes pourraient, à l’avenir se voir poursuivies pour ce manquement délibéré dès lors qu’il existe une présomption suffisamment forte et prouvée scientifiquement du lien de causalité entre le travail de nuit et certains cancers.

Demain, le préjudice d’anxiété pourrait-il se reporter sur la conduite routière ? la route est la cause principale des décès par le fait ou à l’occasion du travail en France. Ainsi, pourrais-je, à l’avenir dans ce cadre, anticiper le futur potentiel accident et faire valoir ce préjudice d’anxiété ?

Je vais sans doute un peu loin pour certains, mais nos jurisprudences se comportent souvent comme des entonnoirs inversés.

Je me rappelle la brèche ouverte à la fin des années 90 autour des agressions verbales et menaces d’agents d’accueils et de conducteurs de bus. A cette époque, pour être reconnu, un accident de travail nécessitait une blessure physique. Le législateur (jurisprudence) a fait évoluer cette définition en prenant acte de l’impact psychologique de ces événements en assurant ainsi une réparation forfaitaire au même titre qu’un accident « classique ». Chacun peut constater l’évolution sur ce sujet depuis 20 ans.

 

L’anxiété est liée à l’absence de contrôle ressentie par la personne. L’idée est que l’exposition est subie, voire inconnue quant à ses conséquences dans l’avenir. « Une situation d’inquiétude face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie » (définition actuelle susceptible d’évoluer avec le temps).

Illustration : On « découvre », un jour, le caractère dangereux d’un produit à la suite de pathologies reconnues en lien avec une activité professionnelle. Si j’ai été exposé dans des conditions similaires mais que je ne suis pas malade, je peux être inquiet : pourquoi lui et pas moi ? quand vais-je tomber malade ? et face à cela, d’autres personnes ne se soucieront que peu de ces événements.

« Tout est poison, rien n’est poison : c’est la dose qui fait le poison » affirmait le médecin et alchimiste Paracelse.

Au grand dam de certains extrémistes qui voudraient voir un produit classé comme toxique dès lors qu’il présente un risque pour la santé, on sait désormais et depuis de longues années que certaines molécules sont bénéfiques pour le corps à de petites voire très petites doses alors qu’elles deviennent mortelles à des doses plus importantes.

Le préjudice d’anxiété est-il l’antichambre du principe de précaution, ou, est-ce l’inverse ? l’œuf ou la poule ?

Les juges se lancent dans un débat complexe et passionnel. A l’heure où ce sont les comportements individuels qui tuent le plus prématurément (http://www.hsseassist.com/2019/10/cancerogenes-de-loisirs-l-etat-en-contre-exemple.html ) ces choix juridiques (souverains) font le jeu des extrémistes du risque et des équipes juridiques plus que de la prévention et du pragmatisme.

Il me semble que les grands perdants pourraient être l’esprit d’initiative et la réalité scientifique (cf baromètre IRSN 2019)

Le risque devient un sujet désormais plus philosophique que pratique et réaliste. La notion de risque devient-elle inacceptable ? Le risque zéro n’existe pas, pourtant au sens juridique, il devient intolérable.

Et, je me demande ainsi, si aujourd’hui on ne prend pas le chemin de la judiciarisation de type anglo-saxonne dont on m’a tant parlée à la fin des années 90.

A votre réflexion

Jerome

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